La douleur est-elle le simple reflet de la nociception ?
La nociception, c'est la détection et l'acheminement des stimuli délétères/extrêmes, ils peuvent être sous forme de :
- Température
- Substance chimique (ex : acidité)
- Sollicitation mécanique (ex : pincette) Cf partie 1 : Perceptions sensorielles
Durant longtemps, les professionnels de santé appréhendaient la douleur musculosquelettique par une approche biomédicale qui s'intéressait uniquement aux aspects biomécaniques, structurels (aux lésions) ... Cette approche plutôt efficace dans bon nombre cas a soulevé des incompréhensions :
- des personnes qui avaient des douleurs sans signes de lésion,
- d'autres avec des lésions mais sans douleur,
- d'autres avec peu de lésion qui souffraient énormément et
- à l'inverse des personnes avec beaucoup de lésion qui souffraient peu.
La beauté de la science a alors fait son effet puisque des remises en question ont suggéré de nouvelles pistes. C'est alors qu'est apparu le modèle "bio-psycho-social". Dans ce dernier nous retrouvons 3 dimensions dont les prédominances peuvent varier d'un individu/ d'une situation à l'autre :
1) "BIO" : facteurs biologiques Ceci reprend les caractéristiques biomécaniques et physiologiques avec notamment : - l'âge - le sexe - la capacité physique - les facteurs inflammatoires (ex : suite à une blessure, une maladie, ..) - les facteurs endocriniens (ex : taux d'hormones) - les prédispositions génétiques
- Le sommeil
La diminution de la quantité de sommeil et/ou de sa qualité (interruption) est un facteur favorisant la douleur. Des hypothèses concernant son mécanisme suggèrent une influence sur les voix de la douleur et sur l'inflammation.
2) "PSYCHO" : facteurs psychologiques Avec notamment :
- Les croyances
Ex : penser que son dos est fragile va mettre les voies de la douleur en alerte pour cette zone et ainsi favoriser la perception de douleur.
=> Ces croyances vont directement influencer la manière dont on va rationaliser nos douleurs ; ceci peut alors entrainer des comportements néfastes. La kinésiophobie (= conserver une peur du mouvement et/ou la mise en place de stratégies d'évitement dans le temps) est un facteur de risque reconnu comme entrainant des retards de guérison voire la chronicisation des douleurs.
- Les émotions/ les capacités de gestion du stress
L'anxiété, la détresse et la dépression sont également des facteurs favorisant la douleur.
Le catastrophisme est le fait d'imaginer une évolution pessimiste de la situation ; il souvent accompagné de rumination. Des études démontrent que ce phénomène entraine des modifications structurelles et fonctionnelles au niveau de certaines structures du cerveau. Ce phénomène est un réel obstacle à la gestion des douleurs. Dans une étude sur des patients ayant subi un coup du lapin nécessitant une chirurgie, le catastrophisme pré-opératoire va jusqu'à prédire le résultat lié à la douleur en post-opératoire. => Piste pratique : en cas de nécessité d'une chirurgie non vitale ni urgente, il serait conseillé de répondre à ce questionnaire : https://global-uploads.webflow.com/5efdebdeb7b3547cff001ad5/630265014361af6469cb2b52_PCS.pdf . Si votre score est supérieur à 14, il vous serait bénéfique de faire au préalable des séances de thérapie cognitivo- comportementale avec un.e psychologue ainsi que de l'éducation à la douleur afin de venir diminuer ce catastrophisme.
À l'inverse, les personnalités résilientes auront tendance à être protégées des douleurs (influence sur l'intensité et la durée).
3) "SOCIAL" : facteurs sociaux
- Un contexte social négatif :
La pression dans la sphère professionnelle ou familiale, l'absence de relation sociale (l'isolement) et le manque de soutien social sont des facteurs favorisant l'intensité des douleurs ou encore leur durée.
À l'inverse, se sentir entouré et soutenu par ses proches (famille, amis et collègues) est un facteur protecteur de la douleur (influence sur l'intensité et la durée).
- Un contexte socio-économique difficile
Le travail, le niveau d'instruction et la classe sociale peuvent devenir des facteurs favorisant la douleur et la maladie.
Conclusion
Nous venons de voir quelques points de chaque dimension du modèle bio-psycho-social. Place au visuel : en 2017 le travail d'équipe de 27 spécialistes du dos a permis de proposer un métamodèle illustrant les facteurs influençant la lombalgie (douleur dans le bas du dos). Bien que cela n'est qu'un avis d'experts, il nous permet de voir à quel point les douleurs ou encore l'incapacité fonctionnelle sont influencées par un nombre impressionnant de facteurs autres que biologiques.
Source : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31092123/
Il semble maintenant aisé de répondre à la question de base : la douleur est-elle le simple reflet de la nociception ? => NON ! Indépendamment de la nociception (voies de détection et d'acheminement de la douleur (stimuli délétère), il existe des facteurs psychologiques et sociaux influençant également l'apparition, l'intensité ou encore la durée des douleurs !
Exemples
Avez-vous déjà eu une crampe ? Dans cette situation, votre nociception s’active à la suite d’une stimulation chimique liée aux modifications métaboliques (acidité au sein du muscle). => Il n’y a pas de lésion à proprement parler mais c’est TRÈS douloureux.
Á l’inverse, je suis persuadé que vous avez déjà découvert du sang sur vos mains sans ressenti spontanément son origine. Dans cette situation votre nociception s’active à la suite d’une lésion mécanique extrême entrainant une lésion de la peau. => Dans ce cas cependant, vous n’avez ressentit AUCUNE douleur.
BIBLIOGRAPHIE
Sommeil et douleur : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36605555/
Contexte socio-économique : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17161730/
Place des facteurs biologiques dans le modèle bio-psycho-social : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31092123/
Rejet social et douleur : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25251482/
Catastrophisme et modifications cérébrales : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28146315/
Catastrophisme et douleurs après chirurgie : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23552561/
Croyances et guérison : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24412032/